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I
Il y a des histoires qui commencent au hasard.
Hasard d'une nuit infinie pendant laquelle deux corps dansent, s'étreignent et se frôlent. Ils s'élancent dans une cavalcade effrénée, une bataille pendant laquelle chacun tente de prendre l'ascendant sur le plaisir de l'autre. Jusqu'à l'apothéose, le coup de grâce. La libération se fait dans un cri résonnant dans tout l'immeuble, donnant lieu à de multiples coups contre les murs ou de nombreux grognements de mécontentement. Les murs sont fins, et pourtant les rires fusent petit à petit lorsque les amants se rendent compte qu'ils n'ont pas précisément été discrets. Qu'importe, c'est leur amour qui compte, non ? Alors, épuisés, ils s'endorment entrelacés dans les bras l'un de l'autre, repus de cette affection, avec le sentiment d'être invincible face au monde et à ses cruautés.

Et si la vie était un conte de fée, ils auraient vécu heureux et eu beaucoup d'enfants.
Mais la vie n'est pas un conte de fée.

Et ce matin-là, le réveil n'a pas été fait au rythme du chant de la ville, il a défoncé la porte dans un fracas qui aurait pu être assourdissant si elle avait été en meilleur état. Un gorille s'est imposé dans leur intimité, n'hésitant pas une seule seconde à envoyer son poing dans la figure encore juvénile de l'homme qui tentait de protéger son aimée. Assomé, il n'aura rien pu faire lorsque l'énorme paluche du type enserra le bras de la jeune femme, l'entraînant avec lui à travers le trou béant que son entrée avait laissé.

L'histoire semble anecdotique et, à l'échelle du monde, elle l'est sûrement. Mais elle impactera la vie d'un nombre incalculable de personnes, et aura des répercussions encore aujourd'hui. Alors peut-être serait-il intéressant de creuser un brin plus cette histoire et d'entrer au cœur de ce qui aurait pu être un drame Shakespearien dans toute sa désuétude.

♦♦♦

Assise sur un banc, Arabella Cavendish est plongée dans la lecture d'un essai de philosophie, cherchant par ce biais à s'émanciper et à apprendre toujours plus de choses. Jeune femme sûre d'elle, elle est le modèle parfait de ce que l'on attend de la noblesse Britannique : distinguée, posée, féminine, douée d'intelligence et suffisamment sûre d'elle pour s'exprimer. Elle est loin de toutes ces femmes qui se battent pour leur indépendance, mais elle se plaît à se dire qu'elle pourra peut-être changer les choses de l'intérieur pour elle et celles qui suivront.

Elle sait que ses parents sont plutôt du côté conservateur des choses mais elle croit intimement qu'ils seront plus préoccupés par son bonheur que par l'étiquette. Oh, douce Arabella, que tu te trompes.
Tu ne pouvais pas savoir qu'ils seraient justement la cause de ton éternel malheur.

Néanmoins, la jeune femme vis une vie plus que confortable. Elle étudie à Oxford, vit dans un appartement avec un cousin qui étudie au même endroit. Elle peut s'offrir ce qu'elle souhaite, ce qu'elle a envie. Pourtant sa vie lui semble vide. Parce qu'Arabella rêve du grand amour. Comme de nombreuses petites-filles de son âge, elle a été bercée aux contes de fée et aux histoires de prince charmant, encore plus vu son statut de fille de Duc. Peut-être sera-t-elle amenée à rencontrer de vrais princes. Alors Arabella attend, elle soupire souvent en pensant à l'homme qui ravira son cœur. Elle a bien cru le rencontrer plusieurs fois, mais à chaque fois ils en avaient après ce titre qu'elle n'avait même pas.

Alors elle observe le monde et décide de prendre le taureau par les cornes. Puisque les hommes de son monde ne sont que des goujats, peut-être réussira-t-elle à trouver l'homme de sa vie dans un milieu plus modeste. Elle décide de laisser les choses venir à elle, naturellement, de vivre sa vie sans chercher activement. Parce que ça enlèverait le charme de leur première rencontre.

C'est comme ça qu'elle sort ce soir-là avec des amies, avec pour unique but de faire la fête. Elles décident d'un commun d'accord d'aller à Londres ce soir-là, de ne pas fréquenter les mêmes boîtes huppées dont elles ont l'habitude mais d'aller se perdre dans des clubs plus modestes. Elles dansent, boivent, s'amusent. Les rires fusent et les blagues aussi. Mais l'alcool enivre un peu ces jeunes femmes qui se retrouvent à discuter à coeur ouvert. Arabella s'éclipse aux toilettes, et lorsqu'elle revient, elle surprend des mots que des amies ne devraient jamais avoir les unes envers les autres. Bouleversée par la trahison de ses proches, elle quitte la boîte de nuit pour prendre l'air, avec l'espoir que le piquant des températures de janvier chasse la douleur qui lui étreint le cœur.

Elle ne devrait pas être surprise, au fond. Elles sont amies depuis l'enfance par habitude plus que par affection. Parce qu'il s'agit du bon cercle à fréquenter. Mais elle n'arrive pas à se souvenir d'une fois où elle ne s'est pas sentie de trop dans cette bande, où elle a vraiment eu l'impression de faire partie d'elle. Peut-être qu'elles ont raison au fond, qu'elle est trop sensible et susceptible. Qu'elle devrait mettre de l'eau dans son vin. Mais, elle arrive à cet âge où on n'a plus envie de faire semblant. Ou on a envie d'être qui l'on est sans être jugé par les personnes qui sont censées nous aimer.

Alors Arabella erre.
Sans but, sans objectif. Elle tourne dans des rues, des ruelles. Tente d'éviter les gens, parce qu'elle sait qu'ils vont la sonder sur regard à cause de ses yeux bouffies, de son maquillage qui a coulé, de ces traces de larmes sur ses joues, de l'humidité qui persiste dans son regard. Alors elle bifurque, se dissimule dans l'ombre des réverbères, avance à tâtons parfois sans trop savoir où elle va. Et ce qui devait arriver arriva. Une jeune femme seule dans une rue à une heure avancée de la nuit, ça attire l'oeil des prédateurs. Ça aiguise leurs sens. Elle tente de changer de rue, encore. La fuite pour ne pas avoir à supporter qu'on lui parle. Mais il n'a pas l'air du même avis. Il la suit, lui parle, tente de lui soutirer des informations. Elle ne répond pas, essaie de faire comme s'il parlait à quelqu'un d'autre. Et ça l'agace, lui. Alors il s'énerve, l'empoigne par l'épaule pour la plaquer contre un mur. Elle gémit de douleur et lève les yeux. La peur s'est ajoutée à la tristesse dans son regard et elle tente de se défaire de son emprise. Mais il est beaucoup plus massif qu'elle et, surtout, il sent l'alcool. Et ça la tétanise. Elle sait ce qui arrive dans ces cas-là. Elle observe autour d'elle ce quartier qu'on pourrait qualifier de mal-famé. Les murs sont abîmés, vieillots. Les portes sont taguées, parfois même ouvertes. Les fumées quittent les cheminées, derniers vestiges des feux de bois qui ont réchauffé la maisonnée ce soir-là. Elle ne sait pas où elle est et la rue est déserte, alors elle essaie de s'extraire, encore, en rusant un peu. Elle le frappe et tente de s'enfuir mais il la rattrape par le dos de sa robe, elle entend un craquement et le son lui semble sinistre. La seule pensée qui lui vient, irrationnelle, c'est qu'elle aimait bien cette robe. Les insultes fusent et ses mains sont partout sur elle. Elle crie, se débat, appelle à l'aide. Elle a peur, elle est en colère, elle est triste. Et alors qu'elle allait abandonner, elle entend un nouveau craquement. Un craquement qui n'a rien à voir avec le déchirement du tissu qu'elle a entendu un peu plus tôt, un craquement bien plus sinistre. Puis un hurlement de douleur. Lorsqu'elle rouvre les yeux, elle voit son assaillant au sol un peu plus loin, le nez en sang et la pommette ouverte. Un autre homme s'approche d'elle, un air inquiet au fond de ses grands yeux bleus. Il dépose sa veste en cuir sur ses épaules et elle tremble. Longtemps. Lorsque l'autre type se redresse, le regard de son sauveur se fait menaçant. Il dit qu'il a appelé les flics et le mec s'enfuit sans demander son reste. Il s'assied près d'elle, suffisamment près pour qu'elle ressente sa chaleur, suffisamment loin pour ne pas lui imposer sa présence.

Elle fond en larmes, à nouveau. Personne ne devrait avoir à vivre ça, et pourtant elle sait que tous les jours ce genre de situation se produit. Elle a eu de la chance, ça aurait pu être pire. Mais elle ne peut pas s'empêcher de culpabiliser. Elle aurait dû prendre un taxi pour rentrer directement chez elle. Elle n'aurait pas dû se vexer pour des si petites remarques. Elle n'aurait pas dû partir seule. Elle ne dit rien de tout ça, elle sanglote en silence alors que le jeune inconnu attend patiemment près d'elle. Elle semble prendre conscience de ses précédents mots et le supplie de ne pas appeler la police, ou de l'emmener loin. Elle ne peut pas prendre le risque que ses parents l'apprennent. Elle ne veut pas poser de soucis, et elle ne veut pas se retrouver mariée pour la bonne cause.
Il la rassure, lui affirme qu'il n'a appelé personne, qu'elle le fera elle-même si elle le souhaite. Elle se calme et il lui tend un paquet de mouchoir, qu'elle utilise pour sécher ses larmes. Elle le remercie, prend le temps de l'observer un peu. Il hausse les épaules, lui dit qu'il ne peut pas passer sans intervenir face à ça.

Et ils restent là, adossés à un mur de vieilles briques, assis sur le trottoire, à parler de tout et rien. Elle apprend son prénom, Beck, et il la fait sourire, elle se sent plus légère et quand vient le moment de se séparer, elle se sent encore fébrile. Il lui affirme que rien n'était de sa faute et qu'elle ne doit pas s'en vouloir. Que si elle veut porter plainte il viendra témoigner et que si elle a besoin de quoi que ce soit, elle peut l'appeler. Il attrape un stylo dans son sac et note son numéro sur son poignet, lui demandant avant si elle lui permettait de la toucher.

Engourdi d'être restés assis plusieurs heures, ils se mirent en marche au lever du soleil vers une rue plus passante dans l'espoir de trouver un taxi. Il l'accompagna, continuant d'essayer de lui changer les idées en parlant de choses et d'autres. Et malgré ce qui venait de lui arriver quelques heures plus tôt, Arabella eut une certitude en le voyant sourire, éclairé par les premiers rayons du soleil : il était celui qu'elle attendait depuis toujours.
♦♦♦

Après avoir déposé la jeune femme dans un taxi, Beck soupira en regardant l'heure. Il n'avait même pas le temps de rentrer pour se doucher avant son prochain boulot. Alors il se mit en route, longeant la Tamise pour rejoindre le marché dans lequel il aidait à faire l'installation d'une étale. Il y bossait une partie de la matinée en tant que vendeur de fruits et légumes pour dépanner un ami. Enfin, au départ c'était pour dépanner un ami, mais sa gueule d'ange attirait les ménagères à son emplacement alors il lui avait proposé un job plus pérenne. Il était épuisé alors il quémanda un café à la boulangère du coin qui lui fit grâce du paiement pour cette fois, il engloutit le nectar rapidement avant de se mettre à bosser. C'était suffisamment physique pour qu'il n'ait pas besoin de faire des heures de sports en dehors de ses horaires et ça payait pas si mal. Pas assez pour résoudre tous ses problèmes mais suffisamment pour qu'il ait un toit au-dessus de sa tête. Même s'il se demandait bien quel était l'intérêt d'avoir un toit si c'était pour ne jamais y être.

Lorsque la matinée se termina et qu'il récupéra son dû, il le glissa dans sa sacoche avec précaution et jeta un nouveau coup d'œil à sa montre. Il lui restait un peu de temps pour rentrer, faire une sieste, boire un nouveau café et aller à son deuxième job. Beck avait toujours enchaîné les petits boulots pour vivre, du plus loin qu'il s'en souvenait. Il vivait seul avec sa mère alors, très jeune, il avait fait en sorte de bosser pour ramener un peu de sous supplémentaire à la maison. Puis, elle est tombée malade. Elle avait dû être hospitalisée et ça lui avait coûté toutes ses économies, jusqu'au moindre centime. Il s'était endetté sur des années pour réussir à la soigner, en vain. Les produits chimiques qu'elle avait inhalés pendant ses années de travail dans des usines de teinture eurent raison d'elle et l'emportèrent.

Il avait lâché l'école dès qu'il avait pu pour faire plein de jobs différents : distributeur de journaux, caissier, manutentionnaire, client mystère, équipier dans un fast-food. Bref, plein de jobs qui avaient toujours fini par mettre fin à son contrat. Jusqu'à ce job de videur dans une boîte de nuit, un truc dans lequel il n'aurait jamais mis les pieds mais où il aime bien bosser finalement. Ça paie bien, en heures de nuit, et il peut enchaîner avec le marché. Généralement, il finit sa journée à 14h et il comate jusqu'à 18h avant d'enchaîner à nouveau.

Sauf aujourd'hui. Quand il avait vu cette fille se faire agresser, il avait réagi avant même que son esprit se soit rendu compte de la situation. Dieu merci, les choses avaient bien tourné et le type s'était barré. Mais il n'avait pas pu se résoudre à la laisser seule. Elle avait l'air si perdu, si triste. Il n'avait qu'une envie : la serrer contre lui et lui promettre que tout se passerait bien. Mais il était juste resté près d'elle, lui avait changé les idées jusqu'à ce qu'elle se sente prête à rentrer chez elle. Et tant pis pour son sommeil. De toute façon, le dimanche il était en congé donc il pourrait dormir le lendemain après son service au marché. Il espérait qu'elle était rentrée en un seul morceau et qu'elle allait mieux. Il lui avait donné son numéro mais il doutait qu'elle en fasse quoi que ce soit, qui recontacterait un sombre inconnu rencontré pendant un événement aussi sordide ? Et il dû se faire une raison, il n'avait pas tort.

Pas un message.
Pas un appel.

Alors il avait repris le cours de sa vie plus ou moins normalement jusqu'à ce qu'un soir, elle apparaisse dans la ruelle où ils s'étaient rencontrés. Il failli s'énerver en la voyant là seule, mais il repéra rapidement une voiture plus loin. La sienne, visiblement. Il se détendit, essaya de se raisonner : c'était une femme libre qui faisait bien ce qu'elle voulait. Même si le fait de l'attendre dans une voiture était un brin plus prudent. Lorsqu'il lui demanda ce qu'elle faisait là, elle lui expliqua qu'elle voulait le remercier à nouveau. Ce à quoi il rétorqua qu'elle avait son numéro de téléphone. Elle voulait simplement le revoir, lui parler en face à face, avec sincérité, et non au travers d'un écran. Un peu perdu, Beck l'observa rougir. Il hésita un instant, parce qu'elle était adorable là, dans son jean et son gros pull rouge, mais qu'il ne comprenait pas vraiment. Elle l'invita à déjeuner pour le remercier, pour qu'ils puissent continuer de faire connaissance. Et un soupir quitta les lèvres de Beck.

« C'est gentil, mais je ne suis pas quelqu'un pour toi. »
« Pardon ? »
« Je sais ce que tu essaies de faire. J'suis pas ton chevalier en armure ou ton prince charmant, j'ai rien de tout ça. C'est cool de vouloir me remercier mais je ne te donnerais pas ce que tu cherches. »
« Parce que tu sais ce que je cherche ? »

Il leva les yeux vers elle, surpris de sa réponse.

« Je… »
« C'est surprenant, vois-tu, parce que je ne sais pas moi-même ce que je cherche. »

Il continua à la fixer en silence, observant la colère danser dans les pupilles mordorées de la jeune femme. Quelque chose avait changé dans son comportement. Elle était fragile, il pouvait le voir, mais il y avait une force sous-jacente qui n'était pas aussi présente la semaine précédente. Une colère contre le monde.

« Je veux juste apprendre à te connaître, parce que oui tu m'as sauvé. Et que j'ai aimé notre conversation ensuite. Et que… » souffla-t-elle alors que sa voix se brisait « J'en ai marre d'être seule en étant entourée, alors que tu ne m'as pas donné cette impression. Libre à toi de refuser mon invitation. Mais ne prétend pas savoir ce qu'il y a dans ma tête. »

Et c'est ici que les choses s'enclenchèrent pour lui. Elle n'était pas juste une victime parmi tant d'autres, elle avait une voix. Une voix qui résonnait fort et claire et qui avait tellement de choses en elle qui demandaient à sortir. Alors il accepta le rendez-vous, sans plus réfléchir.

♦♦♦

Entre Arabella et Beck, les choses furent lentes, mais tellement évidentes. Ce premier rendez-vous ne fut que le premier d'une longue série, alternant entre des piques-niques improvisés sur les bords de la Tamise, des fast-food assis à l'arrière de la voiture d'Arabella et parfois des restaurants qui ne payaient pas de mine. La jeune femme avait compris assez vite quelle était la relation à l'argent de Beck, elle ne voulait pas le pousser à faire des dépenses qu'il ne pouvait pas se permettre. Alors elle rusait, toujours, pour proposer des choses qui ne coûtait pas grand-chose. En majorité ces piques-niques. Elle apportait des choses qu'elle cuisinait elle-même en prenant des cours avec les membres de leur personnel. Et c'était ses rendez-vous préférés. Parce qu'ils n'avaient pas besoin de se soucier du regard des autres, ils n'étaient que tous les deux face à l'eau, et c'était tout ce dont elle avait besoin.

Elle savait au fond d'elle qu'il était l'homme de sa vie. C'était des indices, légers mais importants. Au-delà de le trouver particulièrement beau, elle n'avait pas d'angoisse quand elle était avec lui. Oui, il paraît que les papillons dans le ventre c'est un incontournable du romantisme, mais elle sait que c'est faux. Au contraire. C'est une chaleur douce et rassurante qui l'enveloppe lorsqu'elle est près de lui. Et puis, son rire, elle le trouve si beau. Ses yeux qui pétillent lorsqu'il raconte une blague à laquelle il sera le seul à se marrer. Et au fond, elle ne sait pas grand-chose de lui. Il a toujours vécu à Londres, alors qu'elle s'y est installée après ses études à Oxford. Et elle veut en savoir plus, plus important que des banalités sur son roman préféré et sa manière de manger des pâtes. Elle veut connaître cet homme. Alors elle lui pose des questions. Il hésite, ne répond pas immédiatement. Elle l'encourage et il soupire.

Pour lui, c'est évident. Raconter son passé signe la fin de leur présent.

Pourtant, elle écoute, sans jugement. Elle est horrifiée de se rendre compte de la vie de certaines classes sociales et ça lui coupe l'appétit. Elle observe ces sandwich qu'elle a fait elle-même et elle sent une larme rouler sur sa joue. Elle l'essuie et finit par tendre le bras pour venir enlacer Beck qui se fige. S'ils se sont souvent vus depuis leur rencontre, leur proximité n'a été que affectueuse, jamais elle ne l'a touché depuis. Alors cette étreinte le touche, il la serre prudemment contre lui et ils restent ainsi, en silence, pendant plusieurs minutes. Elle fini par s'écarter, s'essuyer les yeux et s'excuser.

« Je peux t'embrasser ? »

Elle reste muette, surprise. Elle lève les yeux vers lui et l'observe, elle n'a jamais vu ça dans les livres qu'elle lit, généralement l'homme vole un baiser. Mais cette phrase, ces quelques mots, ça accélère le battement de son cœur. Elle hoche la tête et il s'approche délicatement, replace une mèche de ses cheveux derrière son oreille avant de venir poser ses lèvres sur les siennes. Elle ferme les yeux, s'agrippe à son t-shirt et laisse les sensations l'envahir. Lorsqu'ils se séparent, elle rougit et se mordille la lèvre. Il l'observe d'un air inquiet, inquiet d'avoir pu réveiller en elle des souvenirs peu agréables. Mais elle vient à nouveau à sa rencontre, emprisonnant ses lèvres dans un échange quelque peu plus enflammé. Les sens à vif, ils se serrent l'un contre l'autre pour la première fois, comme s'ils étaient la pièce manquante de l'autre.

Puis, ils se séparent et elle se blottit contre lui, observant la surface de l'eau. C'est à son tour de lui demander plus d'informations sur son passé, alors elle lui raconte. Fille de Duc, promise à un brillant avenir, l'impression de n'être qu'un pion, l'oppression de la solitude. Elle se redresse, l'air coupable. Elle parle d'argent, qu'elle ne devrait pas se plaindre alors qu'elle n'a pas de vrai problème. Il lui répond que tous les problèmes sont légitimes, l'argent n'est qu'une possibilité. Elle se calme, l'observe et souffle.

« Où étais-tu tout ce temps ? »

♦♦♦

« Qu'est-ce qui t'arrive en ce moment, tu nous snobes ? »

Surprise, Arabella lève les yeux de son livre, observant l'une de celle qu'elle pensait être ses amies devant elle. Lentement, elle glisse son marque-page pour marquer l'endroit où elle s'est arrêtée, et elle dépose son ouvrage sur la table en fer forgé du jardin de ses parents.

« Non, je n'ai simplement pas envie de faire semblant. »

La pique semble faire mouche et cette amie s'emballe. Agacée, Arabella écoute en silence, attendant qu'elle arrête de parler. C'est difficile de laisser quelqu'un déverser sa haine sans dire un mot, mais elle n'a pas envie de continuer à simuler ces relations pesantes qui lui pèsent sur le cœur et l'esprit. Alors elle décide que s'en est assez. Elle lève la main, fait taire la jeune femme et pose un point final sur cette relation, et celle qu'elle entretenait avec les autres filles.

Il y a des événements qui font prendre conscience que la vie est trop courte pour être gâchée avec des personnes qui ne nous estiment pas à notre juste valeur. Et Arabella a vécu deux fois ce genre d'événement en très peu de temps. Son agression et sa rencontre avec Beck lui ont fait mettre beaucoup de choses en perspectives. Des choses dont elle aurait besoin, et des choses qui ne lui sont d'aucune utilité.

Alors elle se concentre sur ce qui compte : ses études, son compagnon et sa propre personne. C'est peut-être égoïste, mais après avoir essayer d'entrer dans un moule pour convenir aux autres, elle estime qu'elle se doit bien ça.

Malheureusement, ses amies ne sont pas les seules à se rendre compte de son changement de comportement. Ses parents finissent par la convoquer pour lui demander ce qui lui arrive, pourquoi elle n'entretient plus ses bonnes relations, pourquoi est-elle socialement à l'arrêt. Elle leur explique, en partie. Pas tout, parce qu'elle ne sait pas comment ils réagiront à ce qu'elle construit avec Beck depuis plusieurs semaines maintenant. Elle préfère garder ça pour elle, encore un peu. Alors elle ne le confie à personne, le savoure pour elle-même et l'écrit pour ne rien en oublier. Elle écrit le goût de ses lèvres, la douceur de sa peau, l'électricité qui passe dans ses cheveux lorsqu'ils sont propres. Elle écrit le son de ses rires, la luminosité de ses sourires, la douleur qu'elle ressent lorsque les pupilles bleus deviennent orageux. Jamais contre elle, souvent contre le monde. Elle écrit ses sentiments grandissant, jour après jour, dans ce petit carnet qu'elle dissimule sous son matelas, persuadée d'être discrète. Jusqu'à ce qu'un matin, après son départ, sa mère curieuse ne vienne envahir son espace pour comprendre l'origine du changement de comportement de sa progéniture.

♦♦♦

Ca fait plusieurs mois maintenant que Beck a sauvé la jeune femme qui dors à ses côtés. Plusieurs semaines de questionnement et de bonheur. A la regarder s'éveiller avec cet air mutin et gêné qu'il découvre depuis seulement quelques jours. Après son expérience, il n'a jamais tenté de la toucher au-delà de ce qu'elle voulait bien lui donner, jusqu'à ce que ça devienne le sujet de leur première dispute. Arabella s'étant convaincue qu'elle n'était pas attirante, qu'elle ne lui plaisait pas. Ce jour-là, il se jura de communiquer avec elle et de toujours lui dire ce qu'il avait en tête pour ne plus jamais voir les larmes perler sur ses joues de porcelaine. Cette nuit-là fut leur première, et quand il s'était réveillé à ses côtés, il avait souhaité ne plus jamais se réveiller seul. Même si son appartement était miteux et qu'elle était la seule chose qui illuminait l'endroit, même si elle faisait si propre et détonante dans ces murs moisies d'humidité et ces draps délavés. Pourtant, il savait qu'elle n'aurait voulu être nulle part ailleurs. Et ça lui réchauffait le cœur autant que ça l'effrayait. N'allait-il pas l'entraîner avec lui dans sa chute ? Il n'avait toujours pas remboursé ses dettes et il avait l'impression que c'était de plus en plus difficile. Il faisait moins d'heures au marché, passant du temps avec Arabella, et était moins efficace à la boîte. Il passait ses nuits à se languir d'elle et ses journées à rêver de la retrouver. Il était ridicule, devenu le stéréotypes des types qu'il jugeait du regard lorsqu'ils se pâmaient devant leur belle, mais s'il avait pu, il aurait offert le monde à la sienne.

♦♦♦

Les mois passent, Arabella se dispute avec ses parents de manière régulière. Parce que sa mère a dépassé les limites en mettant son nez dans son journal, parce qu'elle lui reproche une relation qui donne un sens à sa vie, parce qu'elle essaie de lui faire comprendre que l'argent et les titres sont plus importants que ce sentiment qui lui ravage la poitrine. Alors Arabella découche, de plus en plus, de plus en plus souvent. Elle ne revient que ponctuellement, chercher des vêtements ou des livres de cours. Elle parle parfois à ses parents, mais finit constamment par quitter les lieux en larmes. Parce /que ça la tue à petit feu, parce qu'elle n'est pas cette femme forte et indépendante qu'elle aimerait tant être. Parce qu'elle a besoin de l'approbation de ses parents. Elle a besoin qu'ils soient fier de la femme qu'elle devient. Mais, elle se fait peu à peu une raison au fil des semaines : ils sont enfermés dans leurs pensées rétrogrades, ne laissant que peu de place à une potentielle évolution. Alors elle se contente de fuir, protégeant son cœur du mieux qu'elle le peut en restant loin d'eux.

C'était sans compter sur les coups du destin.
Elle s'était peu à peu installée chez Beck, dénichant un petit-boulot de serveuse pour l'aider à payer le loyer et les charges. Elle ne gagnait pas beaucoup d'argent mais, c'était suffisant pour alléger un peu le poids des dépenses de son amant. Elle a quitté les palais de marbres blancs qu'elle avait connus toute sa vie pour un appartement humide et mal isolé, mais elle ne regrettait pas son choix. Même s'il n'était pas vraiment officiel ou définitif et qu'elle rentrait encore chez elle ponctuellement à ces moments-là, elle ne considérait plus cette prison dorée comme son domicile.

Elle n'a pas compris tout de suite ce qui n'allait pas chez elle. Parce qu'elle était fatiguée, plus que d'habitude. Elle se sentait mal aussi, et elle avait mis ça sur le poisson qu'ils avaient reçu en cadeau lorsqu'ils avaient travaillé au marché la veille. Puis, elle était rentrée chez ses parents ce soir-là. L'espoir de pouvoir réparer encore quelque chose qui s'était brisé. Elle avait prévu d'y dormir alors, quand elle se précipita aux toilettes en pleine discussion houleuse avec sa mère. C'est elle qui, d'un regard horrifié, lui demanda si elle était enceinte. Si dans un premier temps, la jeune femme leva les yeux au ciel d'un air agacé, elle dû se rendre rapidement à l'évidence. A peine eut-elle quitter la demeure familiale qu'elle s'arrêta dans une pharmacie pour acheter des tests de grossesse qu'elle utilisa au complet en rentrant chez Beck.

Positifs. Ils l'étaient tous.
Et elle ne savait pas si elle devait se réjouir ou paniquer. Enfin, elle paniquait de toute manière. Parce qu'elle ne savait pas comment élever un enfant dans un contexte comme celui qui était leur réalité. Une pauvreté immense, rejetée par une famille qui aurait dû l'aider. Elle tourna en rond dans l'appartement pendant deux heures avant que son compagnon ne pointe le bout de son nez, surpris par l'état dans laquelle il retrouva la jeune femme. En larme, incapable d'alligner deux mots intelligibles, Arabella paniquait complètement. Alors, elle l'emmena juste aux toilettes et lui colla un test positif dans les mains, essuyant ses yeux. Elle ne savait même pas s'il voulait des enfants, ils n'avaient même jamais évoquer leur futur, profitant simplement de leur présent. Pourtant, la lueur de fierté qui pointa dans les pupilles aux couleurs de l'océan la rassura quasi-immédiatement. Beck la souleva de terre, la fit tournoyer dans les airs avant de l'embrasser en s'exclamant qu'il allait être papa. Il ne percuta que quelques instants plus tard que la jeune femme n'était pas aussi enjouée que lui. Alors il lui demanda. Si elle voulait des enfants, si elle voulait le garder, comment elle se sentait par rapport à tout ça. Parce qu'il se souvient de l'état dans lequel elle était lorsqu'il était entré dans l'appartement, et il s'en voulu pour cet éclat de joie qu'il avait partagé alors qu'elle n'était peut-être pas sur la même longueur d'onde. De toute manière, jamais il ne lui imposerait une grossesse dont elle ne voulait pas, et il le lui dit. Elle mit plusieurs minutes à rassembler ses esprits, s'installant avec lui sous les draps de leur lit, comme si la couverture formait une bulle protectrice à l'intérieur de laquelle l'extérieur n'avait pas d'impact. Elle lui expliqua qu'elle ne s'était jamais posé la question, que leur situation n'était pas idéale pour élever un enfant, que sa relation avec ses parents était loin d'être au beau fixe et qu'elle ne voulait pas faire peser ça sur un enfant. Mais que si elle réfléchissait, elle voyait son futur avec lui, qu'elle les imaginait très bien parents, et qu'elle n'était pas sûre de vouloir interrompre sa grossesse. La décision définitive fut reportée, elle devait déjà prendre rendez-vous avec un médecin pour confirmer ça et voir quelles étaient les réelles possibilités.

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En bonne anglicane, Arabella n'a pas pu avorter. Elle y a bien pensé, évidemment. Mais c'était au-dessus de ses forces. Après ça, elle ne se voyait pas passer neuf mois à porter un enfant pour l'abandonner sur les marches d'une église. Ça n'a pas été une mince affaire de faire ce choix, mais ça n'était pas tellement un choix au final. Il lui fallu du temps avant de l'accepter, de longues discussions avec Beck et une crise de larme intense au bout de laquelle elle avait fini par accepter l'amour qu'elle portait déjà à cet enfant. Et que ça la tuait de devoir vivre dans cette situation familiale et de devoir l'imposer à son enfant.

Quelques semaines après qu'ils aient appris la nouvelle, lorsqu'elle rentra à nouveau chez ses parents pour tenter de discuter avec eux et de partager ce moment ensemble, elle ne fut pas surprise de voir qu'ils n'étaient pas seuls. Sa grand-mère maternelle était là aussi et la discussion n'en fut que plus houleuse. Arabella n'avait jamais été proche de cette femme, aussi froide et fermée qu'une porte de prison. Mais elle avait pris du poil de la bête depuis qu'elle vivait avec Beck et elle ne se laissa pas faire. Prise d'une colère sourde face aux mots de cette mégère, elle se rua dans sa chambre pour enfouir le reste de ses affaires dans une valise et ne plus jamais remettre les pieds ici. Elle en avait fait assez pour tenter d'arrondir les angles, elle en avait fait assez pour ménager ses parents, mais c'était sa vie. La sienne. Et elle voulait la partager avec ceux qui l'aimaient, et pas ceux qui voulaient se servir d'elle. Malheureusement, ils n'étaient pas de cet avis, et lorsqu'elle essaya d'ouvrir la porte pour sortir, elle se heurta à un mur. Une porte fermée à clé par celle qui aurait dû l'encourager dans toutes ses décisions.

Alors, toute sa colère quitta ses poumons, hurlant dans l'espace restreint qui était le sien. Elle hurla sa colère et son désespoir, sa peine et sa douleur, exprimant à sa mère qu'elle ne lui pardonnerait jamais. Elle était suffisamment vieille pour prendre ses propres décisions, elle n'avait pas quinze ans, elle savait exactement ce qu'elle voulait. Lorsqu'elle s'écroula, éreintée par la fatigue et les larmes, elle se roula dans sa couette en se jurant que jamais elle n'infligerait une chose pareille à son enfant. Il serait libre, toujours, de faire ce qu'il voulait. Tout ce qu'il voulait.

♦♦♦

Beck n'est pas là quand elle ne rentre pas ce soir-là. Il rentre tard, ou tôt, tout dépend du point de vue. Et lorsqu'il ne voit pas son aimée dans son lit, il pense qu'elle est déjà partie travailler dans ce petit bouiboui qui sert des petits-déjeuner pas cher pour les travailleurs. Il se couche, observant le plafond avec une drôle de sensation dans l'estomac. Par acquis de conscience, il attrape son portable et lui envoie un message. Quelques mots pour lui dire qu'il était rentrée, qu'il espérait déjeuner avec elle quand elle reviendrait. Il s'endormit en attendant sa réponse, mais son sommeil ne fut pas calme ou paisible. Il se réveilla aussi fatigué que s'il n'avait pas fermé l'œil, les sens en alerte. Quand il vu qu'il n'avait eu aucune réponse de sa part et qu'elle n'était pas là, la panique monta d'un coup. Il quitta son lit, enfila un jean en appelant le patron de Bella, espérant qu'elle était encore là-bas. Il ne fut pas surpris d'apprendre qu'elle n'était pas venue, mais il s'en voulut immédiatement. Il aurait dû s'alarmer tout de suite, ne pas dormir. Il savait que quelque chose n'allait pas, il savait qu'elle l'aurait prévenu s'il elle avait un changement de programme. Alors, il prend le chemin de chez ses parents, pour la première fois. Vu la situation, il n'a jamais rencontré sa famille et ça lui convient très bien, il ne tolère pas l'attitude qu'ils ont envers elle. Il est inconcevable pour lui qu'au 21ème on enferme encore une femme dans cette situation, dans quelque chose qu'elle ne veut pas. Alors il pointe chez eux, arrêté à la grille par deux gorilles bien informé de la situation. Il reste là, des heures, dans l'attente d'apercevoir quelqu'un. C'est son père qui finit par sortir, par lui intimer de partir. Qu'elle n'est pas là, qu'elle a dû retrouver la raison et le laisser tomber et qu'elle a eu bien raison. Beck n'en croit pas un mot, il est sûr qu'il lui est arrivé quelque chose. Il demande à quelle heure elle est repartie, comment elle est partie, s'ils comptent aider dans les recherches. Il lui donne des informations floues, insiste sur le fait qu'elle n'avait pas besoin d'eux pour faire sa vie alors qu'il ne mettra rien pour la trouver. C'est à cet instant que Beck tique, qu'il comprend que quelque chose ne va pas. Alors il tente, il sprinte à l'intérieur et crie son nom, parce qu'il est sûr qu'elle n'a jamais quitté cette maison. On lui donne raison lorsqu'un rideau bouge dans une chambre et qu'il entend son prénom, étouffé au loin. Il n'a pas le temps de se diriger vers elle que l'un des gorilles l'assomme et le balance dans un taxi pour le centre de la capitale.

Forte de savoir que Beck ne l'a pas abandonnée, elle se bat chaque jour pour tenter de s'en sortir. Elle finit par ruser, par passer la porte lorsqu'une de leur employée a le dos tourné. Elle marque le chemin, les points les moins surveillés, et puis elle récupère son téléphone qui avait été abandonné dans une poche de son manteau à son arrivée. Elle est vite rattrapée ce jour-là mais elle estime qu'elle a gagné, au moins un peu. Elle retourne sa chambre à la recherche d'un chargeur qu'elle retrouve dans le fond d'un tiroir, elle contacte Beck quasi-immédiatement. L'appareil est mis en silencieux immédiatement, caché dans un livre qu'elle a creusé quand elle était enfant pour y cacher ses secrets. Ensemble, ils créer un scénario, ils montent un plan pour la faire sortir de là avant qu'elle ne devienne folle. Et ils réussissent. Quelques jours plus tard, Beck se pointe avec quelques types armés, ils prennent les lieux d'assaut et finissent par ressortir avec la jeune femme sans tuer personne. Il y a quelques hématomes, des nez cassés et des yeux au beurre noir, mais globalement tout le monde va bien. Secouée par l'émotion, Arabella s'écroule dans ses bras dès qu'ils ont passé le seul de leur appartement. Elle en veut un peu à son amant d'être venu armé, ça aurait pu mal tourner. Et c'est qui ces hommes qu'elle ne connaît pas ? Beck lui raconte. Qu'il a toujours essayé d'être droit mais qu'avoir un peu d'aide parfois ça n'était pas un mal. Il s'est mit des groupes dans la poche en étant un allié autant qu'un ami neutre. Ne prennant jamais part aux guerres de territoire, n'essayons jamais de s'impliquer, mais en étant toujours agréable et souriant avec eux, leur filant quelques verres gratuits au bar, discutant joyeusement et tissant des amitiés.

Après ça, ils déménagent. Parce que Londres les oppressant et que la vie est chère. Ils descendent dans une petite ville-village en dehors de la capitale, dans un endroit où personne ne les connaît. Ils quittent leur petit réseau de soutien, les amis du marché, les collègues du diner, les potes de la boîte, les patrons conciliants. Mais ils en ont besoin. Recommencer de zéro.

♦♦♦

Il y a des histoires qui commencent au hasard.
Hasard d'une nuit infinie pendant laquelle deux corps dansent, s'étreignent et se frôlent. Ils s'élancent dans une cavalcade effrénée, une bataille pendant laquelle chacun tente de prendre l'ascendant sur le plaisir de l'autre. Jusqu'à l'apothéose, le coup de grâce. La libération se fait dans un cri résonnant dans tout l'immeuble, donnant lieu à de multiples coups contre les murs ou de nombreux grognements de mécontentement. Les murs sont fins, et pourtant les rires fusent petit à petit lorsque les amants se rendent compte qu'ils n'ont pas précisément été discrets. Qu'importe, c'est leur amour qui compte, non ? Alors, épuisés, ils s'endorment entrelacés dans les bras l'un de l'autre, repus de cette affection, avec le sentiment d'être invincible face au monde et à ses cruautés.

Et si la vie était un conte de fée, ils auraient vécu heureux et eu beaucoup d'enfants.
Mais la vie n'est pas un conte de fée.

Et ce matin-là, le réveil n'a pas été fait au rythme du chant de la ville, il a défoncé la porte dans un fracas qui aurait pu être assourdissant si elle avait été en meilleur état. Un gorille s'est imposé dans leur intimité, n'hésitant pas une seule seconde à envoyer son poing dans la figure encore juvénile de l'homme qui tentait de protéger son aimée. Assomé, il n'aura rien pu faire lorsque l'énorme paluche du type enserra le bras de la jeune femme, l'entraînant avec lui à travers le trou béant que son entrée avait laissé.

L'histoire semble anecdotique et, à l'échelle du monde, elle l'est sûrement. Mais elle impactera la vie d'un nombre incalculable de personnes, et aura des répercussions encore aujourd'hui. Alors peut-être serait-il intéressant de creuser un brin plus cette histoire et d'entrer au cœur de ce qui aurait pu être un drame Shakespearien dans toute sa désuétude.

♦♦♦

Et si l'histoire s'était arrêtée là, tout se serait bien passé. Malheureusement, la fin n'est pas joyeuse.
N'acceptant pas l'humiliation de la situation, la famille d'Arabella avait décidé d'employer les grands-moyens. Ils devaient récupérer leur fille, se débarrasser de l'enfant et, surtout, se débarrasser du père. Définitivement. Alors, ils avaient employé un professionnel, inconnu du monde mais réputé dans son domaine. L'ordre était simple : récupérer la fille par tous les moyens et, une fois qu'elle était sécurisée, s'occuper de se débarrasser de l'homme.

Pendant de longues semaines, Arabella se battit de nouveau contre ses parents. Il viendrait la chercher, il n'hésitera pas une seule seconde. Et cette fois, elle porterait plainte, elle les traînerait devant la justice pour tout ce qu'ils la faisaient subir, elle parlerait à la presse pour traîner le nom de cette famille dans la boue. Et tout ce qui lui passait par la tête pour réveiller ses parents, pour leur montrer qu'elle ne se laissait pas faire.

Au bout de deux semaines, son père en eut assez. Alors qu'elle hurlait encore que Beck viendrait et qu'il leur ferait regretter la manière dont il la traitait, il lui indiqua que Beck n'était plus un problème et qu'il ne viendrait pas la chercher. Elle aurait pu croire à un mensonge, une ruse pour la museler, la faire taire, mais l'aplomb qu'elle lisait dans le regard de son géniteur lui fit froid dans le dos.

« Qu'est-ce que tu as fait ? »

Les mots furent crachés avec rage, la panique vrillant son estomac. Il était capable de tout, depuis qu'elle avait été enfermée, séquestrée dans sa chambre, elle en était sûre. Et la lueur de défi qui brillait dans le regard de son père lui brisa les genoux. Elle s'écroula en hurlant qu'il était un monstre, qu'il pouvait l'enfermer mais qu'elle ne lui obéirait jamais. Elle s'enfuit, quittant la demeure familiale en pleurant. Il ment, c'était évident. Elle prend un taxi, le paie de toutes ses économies, et quand elle se pointe dans leur nouvel appartement et que la pièce est recouverte de papier plastique, elle sait. Elle sait que son père n'a pas menti. Elle sent le vide s'emparer de son corps, les larmes rouler sur ses joues. Elle ne veut pas y croire mais ses tripes lui hurlent le contraire. Elle sait qu'il ne serait jamais parti sans elle, sans eux. Même pour de l'argent, même pour la gloire. Il ne l'aurait jamais laissée derrière.

Elle sentit ses forces la quitter, elle ne se rendit même pas compte qu'elle était ramenée chez ses parents, qu'on l'avait suivie. A partir de ce jour-là, elle cessa de sortir de son lit, de s'alimenter, de se laver, de vivre. Elle restait prostrée sous sa couette a fixé le drap, les larmes s'étant taries puisqu'elle ne s'hydratait pas non plus. C'est lors d'un malaise qu'un médecin de la famille la secoua un peu. Si elle continuait, elle allait tuer son enfant. Au cœur de la noirceur, elle entrevoit un peu de lumière. Elle devait faire en sorte que rien ne lui arrive, alors elle se reprit un peu. Elle mangeait, buvait, se lavait, mais elle restait enfermée dans sa chambre, se plongeant dans le sommeil la plupart du temps pour éviter la douleur de la perte.

♦♦♦

Elle pensait que ces mois avaient été les plus durs de sa vie, se remettre de la mort de Beck avait été un calvaire mais elle s'était raccrochée à la force qu'elle devait transmettre à son fils. Parce que oui, ce serait un fils. Elle savait même comment elle l'appellerait, parce qu'ils en avaient parlé lors de leurs derniers jours. Heath.

C'était sans compter que ses parents n'avaient pas prévu d'élever le bâtard de leur fille, alors lorsque le jour fut venu, elle hurla. Elle se rendit à l'hôpital où elle supplia le personnel de l'aider. Malheureusement, ils avaient déjà été briefés : Arabella avait été diagnostiquée avec une maladie mentale par leur médecin de famille et maintenant ils avaient la tutelle de leur fille. Il ne fallait surtout pas l'écouter. Elle eut beau supplier, demander qu'on la laisse partir, qu'on les fasse disparaître pour qu'elle vive sa vie ailleurs, personne ne l'écouta.

L'accouchement se passa sans heurt, elle pleura beaucoup l'absence de l'homme qu'elle aimait, mais elle donna naissance à ce petit garçon qu'elle aima dès qu'elle posa les yeux dessus. Pourtant, on ne le lui donna pas dans les bras. D'abord paniquée, elle se sentie rassurée lorsqu'il pleura. Malgré tout, les infirmières emmenèrent l'enfant pour l'examiner plus en détail. Elle apprit plus tard qu'il était aveugle de naissance, et elle s'en voulut immédiatement. Elle était sûre d'avoir causé ça à cause du stress, de la peine ou de sa période de malnutrition. Quand elle demanda si elle pouvait voir Heath, les infirmières se regardèrent d'un air ennuyé en lui apprenant qu'il était parti avec ses grands-parents. Paniquée, elle quitta sa chambre en courant pour tenter de rattraper la voiture en vain. Elle était en train de le perdre lui aussi, et elle ne pouvait pas laisser ça arriver. Sauf qu'une femme venant d'accoucher n'est pas dans sa meilleure forme et que le choc de la nouvelle lui fit à nouveau perdre connaissance.

Elle ouvrit les yeux sur le visage de sa mère, elle se jeta sur elle en lui demandant où était son fils. Lorsqu'elle lui répondit qu'ils l'avaient confié à des gens très bien dans un endroit approprié, elle senti que tout était fini, qu'elle ne serait jamais plus capable de se battre. Et elle abandonna, à cet instant très précis, elle versa ses dernières larmes, insultant sa mère avant de sombrer de nouveau.

Arabella continua sa vie sans la vivre, enfermée dans une bulle, amorphe et sans volonté. Nourrie grâce à une sonde que ses parents la forcèrent à garder, abrutie par des médicaments qu'elle avait fini par elle-même demander. Sa vie s'était terminée à l'instant où elle avait perdu l'espoir d'élever son fils, de lui parler de son père.

II
Tu n'as jamais vraiment vu les choses, jamais vraiment senti que ta vie serait simple. Depuis le jour où tu as été capable de te rendre compte par toi-même, tu as su que tu allais en découdre. Assis sur les marches de son église, tu observes le monde. A ta manière, caché derrière une paire de lunettes de soleil. Tu observes de formes floues bougées dans un monde tout de gris. Parce que tu ne vois pas de nuance et que la ville est faite de gris, le gris des routes bitumées, le gris des immeubles qui cachent la lueur du soleil, le gris des nuages dans le ciel anglais. Gris

Mais assis là, tu écoutes. Tu écoutes le bruissement des ailes des oiseaux, le souffle du vent dans les feuilles des arbres, le bruit des moteurs, des klaxons. Les éclaboussures de l'eau éclatée par les roues d'un vélo lancé à toute allure, les rires des enfants qui sautent dans les flaques, les noms d'oiseaux hurlés par cette femme à son amie, les conseils du vieil homme à un petit garçon.

« Tu m'écoutes, Heath ? »
« Non, mon Père, je n'écoutais pas. Enfin, pas vous. »

Un soupir quitte les lèvres de l'homme qui t'as élevé, tu sens son regard se poser sur toi et tu lèves le visage vers lui, comme si tu le regardais. Et tu le vois, tu as appris à mémoriser sa forme. Une tâche noire dans tout ce gris.

« Je me souviens quand je t'ai trouvé sur nos marches, tu étais si silencieux que j'ai bien cru que tu étais mort. »
« Pourquoi ? »
« Pourquoi quoi ? »
« Pourquoi j'étais silencieux ? »
« Je ne sais pas, mon enfant, je ne sais pas. Peut-être déjà à l'époque avais-tu peur de déranger. »
« Ils ne m'aimaient pas, mes parents ? »

Un silence répondit à ta question, et tu ferma les yeux. Ça te permettrait de mieux te concentrer la plupart du temps. Sur les sons, les odeurs, les sensations. Celle du vent sur ton visage, de la chemise contre ta peau. De la main du vieil homme qui se posa sur le sommet de ton crâne.

« Nous n'avons jamais su, mais sache qu'il y a un grand nombre de raisons pour lesquelles ils ont pu te laisser sur nos marches, et j'aime à penser qu'ils ont choisi ce qui serait le mieux pour toi. »

Tu hoches la tête, comme si tu comprends. Tu as dix ans, Heath. Tu n'es pas suffisamment âgé pour tout comprendre, mais tu es un enfant doué. Tu as le plus souvent passé ton temps aux côtés du Père Melchior plutôt que de jouer avec les autres enfants dans la cour de l'église. Parce que, même dans un orphelinat, les enfants sont cruels les uns avec les autres. Les parents aussi, celà dit. Si tu es encore à l'église après tout ce temps alors que tu n'avais qu'un jour lorsque tu as été abandonné, c'est que lorsqu'ils se rendaient compte que tu étais aveugle, ils refusaient de t'adopter. Tu en as vu passer des familles, qui aux premiers abords avaient l'air adorables, mais dont le parfum puait l'intolérance et l'hypocrisie. Alors tu ne t'attends plus à être adopté, tu es très bien là avec le Père Melchior. C'est la seule personne qui n'a jamais fait de différence entre toi et les autres enfants. Enfin, peut-être que si. Parce qu'il a une affection particulière pour toi, mais tu ne le sais pas. Tu es encore trop jeune pour te rendre compte qu'il fait du favoritisme.

Ce jour-là, tu as décidé que tu serais seul au monde. Que tu n'accepterais jamais d'autre famille que celle que tu avais ici, que tu garderais dans ton cœur le Père Melchior et c'était tout. Les autres enfants ne comprenaient pas, ils avaient du mal avec ton handicap, même pour ceux qui te connaissaient depuis toujours. Et puis, ce favoritisme visible par les autres t'attirait leurs foudres petit à petit. Tu ne te mélangeais jamais à eux, tu restais dans ton coin, et ils n'apprécient pas d'être mis de côté comme s'ils n'étaient pas assez bien pour toi. Et pourtant, c'est ce qu'ils étaient à tes yeux : pas assez bien.

♦♦♦

Tu n'es pas un enfant comme les autres, dès le départ. Peut-être que c'est pour ça que le Père Melchior faisait du favoritisme, pour t'encadrer et ne pas te laisser à la dérive. Mais dès le départ, tu t'intéresse à des sujets différents. Tu poses des questions sur la vie, sur la tristesse, sur la mort. Ton univers est noir et malgré les efforts des adultes pour te ramaner dans une zone d'enfance, tu retournes souvent dans la lecture. Tu te plonges dans l'œuvre de Poe, de Shakespeare, des thématiques souvent dures et peu adaptées à un préadolescent. Pourtant, toi, tu y trouves des conseils qui te parlent, des tonalités qui t'appaisent. La poésie à l'anglaise, les trahisons, la noirceur de l'âme humaine. Tu es encore très jeune lorsque tu perds foi en l'humanité. Tu es né à l'aube des attentats du 11 septembre mais tu en as vécu les conséquences, tu as entendu les riches s'enrichir sur le dos des pauvres, tu as entendu les intolérances monter de plus en plus sur tous les pans de la personnalité ou de la vie des gens. Et tu ne comprends pas tout ça, comment on peut laisser des gens empiété sur les libertés des gens. Tu n'es pas vieux mais tu as déjà cette manière de penser, cette observation sur la société et le monde. Tu as passé ton nez dans des livres d'Histoire, à tenter de comprendre comment l'humanité à évoluer, à la voir reproduire constamment les mêmes erreurs.

Alors tu sais que tu n'aimes pas les gens, que tu deviens un gosse aigri et solitaire. Ça n'est pas grave mais ça inquiète ton entourage. Il y a des enfants que tu effraies, sans effort, et ceux à qui tu envoies des piques. Tu cultives le sarcasme, l'indifférence. L'acidité de tes mots inquiète, parce que tu te retrouves souvent au cœur de bagarre que tu ne maîtrises pas, alors tu te mets au sport, à la boxe, tu te prends des coups mais tu expliques que ça te permet de te protéger. Père Melchior essaie de te ramener à la raison : les mots ont un impact et tu utilises les tiens d'une manière peut-être un peu trop violente, les poings ne sont pas la réponse. Alors tu t'enfuis, après les cours, tu traverses une partie de la ville pour rejoindre une salle de sport, où tu peux apprendre plusieurs choses. Boxe, arts martiaux, danse. Tu fais des pieds et des mains pour qu'ils te laissent pratiquer. Parce qu'un aveugle, ça peut pas faire ce genre de chose, n'est-ce pas ?

Mais tu t'accroches. Tu commences par la boxe parce que c'est ta première idée. Apprendre à donner des coups, à tomber. T'entraîner à connaître la position de ton adversaire pour éviter ses coups et le contrer, parfois même les rendre. Ton objectif n'est pas forcément la violence pure, mais au moins savoir te protéger. Parce que Père Melchior est une personne que tu estimes beaucoup, mais il ne veut pas aider à ce que tu te défendes physiquement. Tu dois trouver ton chemin par toi-même. Et t'es pas mauvais. On te teste au départ, après une dizaine de jours à harceler les membres du club. Il y en a un qui cède, qui te dit de monter sur le ring et que si t'es pas capable de gagner, t'as rien à faire là. T'as treize ans, Heath. T'es loin de pouvoir te battre contre ce type qui, même si tu ne le sais pas, est deux fois plus haut que toi et trois fois plus large, tout en muscle. Pourtant tu te bats. Tu te concentres, visualise mentalement vos positions de départ. Tu joues à l'anguille, tu te faufiles, te défiles, tu tournes autour de lui, appréhende ses mouvements, son odeur, le son que font ses chaussures sur le ring. Tu ne rends pas les coups, mais tu l'agaces, tu le sens dans sa manière de se précipiter. Il pensait en avoir fini avec toi en deux mouvements, mais tu es toujours là, sans une égratignure, à le fixer sans le voir. Il fait finalement une erreur et tu arrives à le toucher. Mais dans ta précipitation, il t'assomme aussi d'un coup bien placé. Tu l'as poussé à bout et ça l'a gonflé de continuer.

Mais, quand tu te réveilles, t'as un type face à toi dont l'aura t'enveloppe un peu trop rapidement. Elle est dense, intense, et tu ne comprends pas. Tu as peur, l'espace d'un instant, sans savoir pourquoi. Comme si ton cerveau essayait de t'informer, de te dire que tu n'as rien à faire là. Pourtant, t'es admiratif de cette prestance qu'il dégage alors que tu n'es même pas capable de le voir. Qu'est-ce que ce serait avec l'image ?

Il t'invective, te dis que t'es un imbécile de t'en prendre à plus grand que toi quand t'es pas équipé pour te battre. Et ça t'irrite. Tu t'énerves instantanément. Tu lui envois chier à la figure des mots que tu ne savais même pas loger au fond de toi. Tu en as marre qu'on te traite en petite chose fragile parce que tu ne vois pas, tu n'es pas fragile, t'es plus fort que la plupart des imbéciles dans la salle qui s'entraînent. Tu en es persuadé. Parce que tu utilises tous tes sens, les quatre qui te restent. Et que t'as une intelligence qui te permet de tout associer bien mieux que ces idiots. Quand t'as fini, tu sens les petits cheveux de ta nuque se dresser. Le type s'est levé et s'est approché, très près. Trop près. Tu te tiens paré à t'enfuir à tout moment quand il recule. Il t'observait simplement, l'air amusé. Mais tu étais trop dans ta bulle de panique pour t'en rendre compte, jusqu'à ce qu'il explose de rire. Un rire gras, presque rassurant. La tension dans tes épaules s'évanouit et tu attends, l'oreille aux aguets, de savoir ce qu'il décidera.

« J'vais te prendre sous mon aile, gamin, mais ça ne sera pas facile. Et pas gratuit. »

T'as appris ce jour-là que t'étais capable de tout.
Et que la vie ne serait jamais gratuite.

♦♦♦

Pendant les années suivantes, tu te bats pour survivre dans cette salle. Tu t'éloignes du Père Melchior - que tu estimes toujours énormément - mais qui n'est pas d'accord avec tes choix, tes fréquentations. Il est persuadé que ça te déservira. Tu te disputes beaucoup avec le vieil homme, constamment. Vous arrivez à trouver dans la prière quelques moments à partager, mais ta foi en Dieu n'a pas lieu d'être, elle existe simplement pour le plaisir de l'homme qui t'as élevé, il y a bien longtemps que tu as cessé de croire qu'une force supérieure testait les Hommes. parce que si c'était le cas, alors ce serait un sacré foutu connard. Ou alors peut-être que Satan à pris le contrôle, gagné la guerre et s'amuse avec l'humanité. Toujours est-il que t'es loin de pouvoir accepter l'avis de ton Père. Parce qu'il ne comprend pas la violence, alors que c'est ce qui régit ce monde. Tu l'admires pour ça, un peu. Mais tu sais que ce sont les personnes faibles comme ça qui partent les premiers.

Contrairement à Fíthel Ó hIcí, ce mentor qui a décidé que tu étais assez doué pour pouvoir apprendre de lui. Tu ne connais pas grand chose de ce type, si ce n'est qu'il est proprio de la salle de sport dans laquelle tu as foutu les pieds, qu'il a été champion de combat libre pendant quelques années et que depuis il est entraîneur. Tu lui as demandé une fois si ça n'était pas les perdants qui devenaient entraîneur, le coup qu'il t'a envoyé t'as ouvert l'arcade et t'as plus jamais tenter de poser de questions.

Par contre, t'as appris beaucoup de choses avec lui. Très vite, personne n'a plus cherché à t'emmerder à l'orphelinat. Personne. T'as continué par la suite, apprenant les arts martiaux pour apprendre à te servir de ton corps, à connaître ses limites et à le prolonger. Tu ne vois pas, tu as besoin d'une canne blanche ? Pas de souci, fait de cette canne le prolongement de ton regard mais aussi de ton bras. Utilise là pour te défendre en cas de besoin. Il t'a aussi très vite appris à ne pas utiliser cette canne, à trouver comment te déplacer sans. écouter, sentir, goûter, toucher. Ressentir, vibrer, faire confiance à son instinct. Tout un programme.

En contrepartie, pour payer tes cours et ton apprentissage, tu bosses pour lui. Au départ, tu fais un petit job de guetteur. On l'a traité de taré la première fois qu'il l'a suggéré, mais t'as la chance d'entendre avant de voir. Alors tu sais quand quelqu'un arrive avant même qu'il soit dans ton champ de vision. Ça te permet de fuir, toi, et aux autres de se préparer à intervenir. T'as convaincu très rapidement sa petite bande. Tu n'as pas su tout de suite ce qu'ils faisaient jusqu'à ce que tu comprennes qu'il s'agissait d'un cambriolage, mais tu t'en fichais. Après tout, les riches en veulent trop, pourquoi ne pas redistribuer ? Chacun pour soi.

Petit à petit on t'inclue dans les coups, on te fait comprendre que t'es indispensable. Et dans ton cœur d'adolescent abandonné, ça fait échos. Tu te prêtes au jeu avec plaisir. Tu guettes, suggère des entrées plus précises, donne des plans. T'as quinze piges mais t'as l'impression d'être enfin avec des gens qui te jaugent à ta juste valeur. Pas comme un gosse.

Et puis, l'année suivante, c'est Tori qui débarque à l'orphelinat. T'as la réputation du bad boy, de celui qu'il ne faut pas approcher. Mais elle s'en fiche, elle est de ces filles qui pensent pouvoir changer un homme. Au départ, tu la repousses, tu ne comprends pas ce qu'elle attend de toi. Et tu n'as pas envie de t'encombrer d'une nana. Pourtant, elle sait aussi trouver des mots qui vont toucher les parties de ton âme qui sont brisées. Une douceur différente qui te parle différemment mais autant que les mots de Fíthel. Tu te laisses peu à peu sombrer dans cette relation qui ne t'adoucit pas, au contraire. Tu joues aux adolescents qui veulent montrer qu'ils sont les plus forts. Tu fais le coq, Tori est tienne et personne n'a le droit de l'approcher. Tu es jaloux, encore plus désagréable parfois et tu t'échines encore à te disputer avec le Père Melchior lorsqu'il vous surprend, de nombreuses fois, bien trop proche pour des adolescents.

Tu as goûté avec elle les premiers amours, les premiers baisers, les premières caresses. Elle a été la première personne que tu as touchée au sens très précis et intime. Dont tu as découvert les courbes et les aspérités du bout des doigts, dessinant mentalement un portrait très précis de ce qu'elle pouvait être. Tu as découvert la danse des corps, le bruit du froissement des draps sous vos ébats, la chaleur moite de sa peau après vos amours, le goût salé de la sueur qui roulait dans le creux de son épaule. Et elle t'a appris que le plaisir pouvait se prendre à deux, et pas seulement en solitaire. Qu'ouvrir son cœur, offrir une petite partie de son âme, ça n'était pas un mal.

Tu t'es adouci à son contact, sans pour autant perdre la dureté de tes pensées et de tes mots.

♦♦♦

Ce jour-là, tu t'es disputé une énième fois avec le Père Melchior. Tes notes étaient médiocres, ton comportement à la limite de l'acceptable, tes fréquentations douteuses et ta relation avec la jeune Tori ne lui plaisait pas. Rien n'allait, et tu ne comprenais plus cet homme. Il avait été un soutien inestimable pour toi, t'avais donné des conseils et des buts, il t'avait aidé, mais il n'écoutait plus les mots qui quittaient tes lèvres. Alors tu l'avais envoyé chier en lui disant qu'il n'était plus qu'un toit au-dessus de ta tête, qu'il n'avait plus de place dans ta vie. C'était faux, évidemment, mais le dramatisme d'un adolescent en crise fait parfois dire des choses qui dépassent la pensée.

Tu avais quitté l'orphelinat en claquant la porte si fort qu'un tableau s'était décroché du mur. Tu avais fuis à la salle de sport aussi vite que possible pour t'entraîner. Tu avais passé la soirée à te battre contre un sac de sable pour évacuer au maximum les tensions qui se formaient dans ta nuque. Tu l'aimais, franchement, de tout ton cœur. Mais tu avais besoin qu'il te laisse vivre, qu'il te fasse confiance. Tu t'en tirais bien, tu étais fier de ce que tu devenais. Mais le Père Melchior te voyait sombrer dans la délinquance et ça ne lui plaisait pas. Tu revenais souvent blessé, soit à cause de tes entraînements, soit à cause de bagarre contre des clans rivaux. Il devait parfois venir te chercher au commissariat pour des petits délits. Tu étais mineur alors tu t'en tirais avec des amendes et tu bossais dans une librairie pour payer tes dettes. Mais tu n'avais pas fini en prison, trop jeune encore.

Sauf que ce soir-là, quand t'es rentré, t'as vu le noir être éblouit par le bleu et le rouge. Flou et étouffant, tu n'as pas mis longtemps à comprendre ce qu'il s'était passé. Tu sens les bourdonnements des caméras, les voix qui couvrent les questions de la police. Un attentat contre une église qui hébergeait un orphelinat dans la banlieue de Londres, de nombreuses victimes sont à déplorer mais le meurtrier s'est enfuit.

Tu lâches ton sac et te précipite vers l'entrée, on t'arrête alors que tu hurles à plein poumons les noms du Père Melchior, de Tori, d'autres enfants ou membres du personnels que tu connais depuis toujours. Mais tu fini sédater alors qu'on t'emmènes à l'arrière d'une ambulance, t'es incapable de bouger mais tu entends tout ce qu'il se passé autour. Les fermetures éclairs qui se referment sur les sacs mortuaires, les sanglots des enfants qui ont miraculeusement été trouvés dans la cave, la voix de Tori qui appelle ton nom en panique.

Mais tu n'entends pas la voix du Père Melchior.
Et tu ne l'entendra plus jamais.

Quelques jours plus tard, tu portes un jean noir et une chemise de la même couleur que t'as trouvé dans le fond d'une malle. Tori est pendue à ton bras, mouillant ton épaule des larmes qui ne coulent même pas de tes propres yeux. Tu fixes le tour béant dans la terre, cette forme marron dans une étendue verte. La pluie tombe malgré la moiteur de ce mois de juin, comme si le ciel avait décidé de pleurer l'un des siens. Toi, t'es juste en colère. Tori a fini par te trouver et te raconter.

Comment ce type avait décidé d'entrer dans l'église alors qu'ils se préparaient pour une soirée cinéma avec les plus jeunes après l'heure d'éducation religieuse. Il avait demandé qui gérait cet endroit lorsque le Père Melchior était entré. Tori lui avait présenté le père et, elle avait bien senti qu'il se passait quelque chose parce que le Père lui avait demandé de partir en cuisine avec Nana pour préparer le repas. Mais, à peine était-elle sortie de la pierre qu'un coup de feu retentit. Paniquée, elle avait emmené tous ceux qu'elle avait trouvé à la cave et n'en était pas sortie avant que la police ne vienne les chercher.

Personne n'avait compris s'il s'agissait d'une vengeance ou d'un acte gratuit, mais le Père Melchior était mort, Nana aussi, plusieurs enfants avaient également croisé la route du détraqué avant que les sirènes de police ne le fassent fuir. Tout l'orphelinat était traumatisé et ils avaient tous perdu leurs repères.


Après les funérailles du Père Melchior, Heath su que c'était fini pour lui. Qu'il ne reviendrait jamais ici. Alors, sans plus de cérémonie, il récupéra ses maigres affaires et quitta les lieux sous les cris de la jeune femme. Parce qu'il l'a quittait aussi, incapable de continuer à ressentir des émotions. Il refusait d'être dans la souffrance à nouveau à cause de l'amour, alors il préférait la blessé une fois en partant que de risquer de la perdre et de souffrir lui-même.

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Il vit dans la salle de sport, on lui dégote une petite pièce qui lui sert de chambre. C'est sommaire mais ça lui suffit. Il a arrêté d'aller en cours et passe ses diplômes en candidat libre. Il achète des bouquins pour étudier la finance de son côté, travaille les programmes de l'année tout seul sans personne. Parfois, il passé dans une fac publique suivre quelques cours magistraux, caché dans le fond de l'amphithéâtre.

Après la mort du Père Melchior, il a fait un passage à vide. Il se battait, constamment. Alors Fíthel essaie de te canaliser, parce qu'il a besoin de tes talents et qu'actuellement tu lui es inutile. Il ne te loge pas pour le plaisir, ça lui permet d'avoir la mainmise sur toi et d'être sûr que tu te remettes. Alors il te fait combattre en duel, contre de l'argent. Histoire que tu paies tes dettes. Tu te perds dans cette noirceur pendant une année, une année où la colère et la tristesse rongent ton âme jusqu'à ce que tu décides qu'il est temps d'avancer. De te sortir de là. Tu arrêtes les combats et commence à étudier, à décider que tu veux partir dans la finance. Toi aussi tu peux devenir riche en marchant sur les autres, et tu t'en fous. Tu ne veux plus vivre dans un cagibi miteux, tu veux gagner du fric pour financer ta vendetta. Parce que tu vas le retrouver, cette enflure qui a tué ton Père. Tu vas le retrouver, et tu vas le tuer. Fíthel, lui, se sert de cette colère. Tu deviens peu à peu un homme de main. Tu tabasses ceux qui lui doivent du fric, tu fais peur à ceux qui veulent s'en prendre à lui. Jusqu'au jour où tu tues pour la première fois.

Y'a un déclic qui se fait en toi. Une part de toi qui se fait enfermé dans un trou noir. T'avais encore un peu d'âme jusque là, mais appuyer sur la détente ce jour-là a fini de te changer. Oh, t'as pas trouvé ça particulièrement libérateur, t'as même vomit tripes et boyaux après ça. Ôter la vie à quelqu'un ce n'est jamais rien. Jamais. Et toi, t'étais bien trop jeune pour ça. T'étais à peine majeur, rongé par la colère et la peine, et Fíthel t'avais juré que ce type avait des renseignements sur la tuerie qui avait eu lieu à l'orphelinat. Il n'avait rien voulu dire, malgré les heures de torture que ton mentor lui avait fait vivre, alors tu lui avais collé une balle dans la tête. Entre les deux yeux. Tu ne sauras jamais si c'était par pitié pour lui ou part envie d'en finir, mais t'as eu du mal à t'en remettre. Jusqu'à ce que l'homme qui t'a amené là-dedans te remotive.

Tu n'as pas repris l'arme tout de suite après ça, te contentant de donner des coups non létaux. Mais tu as observé, tu as rangé la part de lumière qui vivait encore en toi, et tu es devenu quelqu'un d'autre.

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T'as vingt-et-un an quand le monde s'écroule. Tu t'es remis de la mort de ton mentor, tu as appris à tuer sans te soucier de tes émotions, que tu as enfermé à double tour dans un coffre bien trop cadenassé, tu as contribué à ce que le clan de ton mentor devienne bien trop puissant dans votre campagne et tu as vu le monde commencer à s'écrouler petit à petit. T'as économisé assez de fric pour racheter ta liberté - parce que tu l'as compris depuis, que tu vivais à crédit chez Fíthel - et tu t'es barré. Parce que t'as su où était l'enfant de Satan qui t'avais pris ta famille. T'as pris un aller simple pour les USA avec un faux passeport, une fausse identité. Tu l'as payée chère, ce nom que t'as choisi en tournant les pages d'un dictionnaire.

Malachi Powell était né, avec lui cette personnalité que tu lui avais créée sur mesure.
Le sarcasme en premier lieu, la classe à toute épreuve, et cette inlassable soif de vengeance.

T'as suivi ses traces de New-York à Boston, t'as passé un moment à le chercher à la Nouvelle-Orléans avant de le découvrir à Chicago, t'as fini dans un train pour Seattle avant d'échouer à San Francisco. Dans chaque nouvelle ville, tu laissais ta trâce. Tu cherchais des contrats pour pouvoir gagner de l'argent pour continuer d'avancer. Ton job d'analyste financier t'as un peu aidé, mais ce sont les contrats de tueur à gage qui t'ont le plus permis de gagner ta vie. T'as affiné ta manière de fonctionner, laissant des cartes sur ton passage. Ça ne disait jamais rien aux flics, par contre, la pègre reconnaissait ça comme une carte de visite.

Et puis, t'as fini à Vegas. C'est là que tu l'as coincé comme un rat. Tu voulais des explications. Tu étais persuadé qu'il y avait quelque chose derrière cette tuerie. Pas juste la volonté de tuer. Tu avais besoin qu'il y ait quelque chose au fond de toi. Sauf que le type t'as ri au nez. Il avait juste soif de sang, et c'était du pain béni pour lui. Il a dit des mots que même toi tu n'aurais jamais osé penser. Finalement, c'était juste le mauvais endroit et le mauvais moment, le type aurait pu aller tout à fait ailleurs. Il voulait juste tuer. T'as assouvis ta vengeance ce soir-là, mais ça n'a pas calmé ta colère. Alors t'as continué ce job jusqu'à ce que ton âme soit anesthésiée, jusqu'à ce que ton humanité se cache si profondément qu'elle n'était plus blessée.

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Vegas, la ville de tous les excès. Tu trouves rapidement une place dans une banque, malgré la situation mondiale, les riches sont toujours très riches. Tu grimpes les échelons rapidement, tu mets tout ton argent de côté. Tu as cette double facette, Malachi le jour, Gunslinger la nuit. Et ça te plaît. Tu joues de ça, tu te fais un nom dans les deux voies. Les riches te veulent pour gérer leur fortune, les criminels pour régler leurs comptes. Tu t'épanouis dans une solitude malaisante qui te permet de ne pas réfléchir. Et quand tu n'as rien à faire, tu t'enivres d'alcool et de sexe. T'as découvert ta bisexualité à Vegas d'ailleurs, dans les bras d'un homme plus vieux qui ne voulait que toi. Puis dans les bras d'un autre que tu voulais faire tiens l'espace d'un instant. Tu aimes autant les femmes que les hommes dans ton lit, et tu ne laisses pas facilement quelqu'un dépasser la barrière que tu imposes.

Tu paies aussi, quand la solitude se fait trop forte mais que tu n'as ni le temps ni l'envie d'aller en boîte. Tu choisis tes employé.e.s à leur voix. C'est pour toi le moyen le plus simple de savoir si quelqu'un te plaît. Parce qu'on va être honnête, tu ne plaques pas ta main sur le visage de chaque personne que tu rencontres pour savoir si il ou elle est séduisant.e. Alors tu écoutes souvent la voix, et celle qui te fais frissonner à tendance à remporter l'action. C'est ce qui s'est passé ce jour-là, quand tu l'as choisi lui. T'as juste cliqué sur le petit bouton de lecture sur son site et il ne t'a pas fallu longtemps pour te laisser emporter.

Alors t'as commencé à le fréquenter, sous un pseudo ridicule qu'on s'octroie soi-même. Tu es mal placé pour juger, gunslinger. Alors tu ne dis rien, d'ailleurs tu ne fais rien. Quand il arrive dans la chambre d'hôtel, tu n'as pas envie de le déshabiller pour atteindre un septième ciel un peu trop épuisant à chercher. Non, t'as juste envie de papoter. Ca t'arrive aussi, à force d'être seul on devient silencieux. Mais tu n'as pas envie de parler, juste de l'écouter. Mais pour recevoir, il faut donner. Un peu. Alors tu donnes, de petites informations. Légère, sans importance. Des trucs que n'importe qui peut apprendre sur toi sur internet. Mais ça donne l'impression que tu te confies, un peu. C'est suffisant pour que vous partagiez plusieurs moments de ce genre.

Suffisant pour qu'un soir, tu paniques légèrement à l'idée de t'accrocher à ce type.
Tu l'as écouté, tu ne l'as pas touché. Pas sexuellement du moins. Ce soir-là, tu as tracé les contours de son visage de la pulpe de tes doigts, essayant de visualiser son apparence dans ton esprit. Tu lui as demandé avant, parce que le consentement à toujours été important pour toi. Tu tues, mais tu n'abuses de personne. Jamais. Tu l'as embrassé, pour le remercier d'avoir accepté. Mais quand il est parti, tu t'es demandé si tu n'avais pas trop livré, trop dit. Ca n'était pas le cas, mais ta logique t'as échappé quelques instants parce que tu as senti le danger. Tu aurais pu simplement cesser de le solliciter et passer à quelqu'un d'autre, t'envoyer en l'air de manière sauvage et intense comme tu aimais le faire depuis que tu t'étais installé aux USA. Mais non, t'avais besoin de sa haine.

Alors t'as choisi un moyen violent, dégueulasse, dont tu as un peu honte finalement. Lors de votre soirée suivante, t'as suggéré un truc fun à faire. Installer cette application dont tout le monde parle. Pour qu'il puisse faire des défis et que tu puisses le regarder, peu importe où et quand. D-Vice était une connerie, vraiment. Et il s'est laissé embarqué là-dedans sans vraiment se rendre compte de la merde dans laquelle il se mettait. Toi, tu savais. T'étais sombre, t'avais jamais touché à un joint de ta vie. T'avais besoin d'un peu de contrôle alors à part quelques verres de scotch, tu ne touchais à rien de plus. Quand il s'est rendu compte de son erreur, c'était trop tard. Tu étais parti, tu avais changé de numéro et n'avais aucune envie de continuer votre relation. Pourtant, t'as continué à le regarder jusqu'à comprendre où il avait atterri. De là, tu as arrêté d'utiliser cette application du démon et t'es retourné à ta propre folie.

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Si Vegas est la ville du vice alors tu es tombé au bon endroit. Les mafieux, les gangsters, les maris infidèles, les femmes bafouées, tu acceptes tous les contrats tant qu'ils sont justifiés et payés. Grassement. Tu mets un ola sur les enfants et les innocents. Tu enquêtes un tout petit peu avant de tuer quelqu'un et, si la personne n'a rien à se reprocher, tu rends l'argent. Tu t'es mis quelques mafieux à dos comme ça, mais t'as très vite repris le contrôle. Une balle dans la tête, ça amène à réfléchir. Tu es quelqu'un de dangereux, de très dangereux. Tu peux être doux comme un agneau avec des personnes qui le méritent, comme la pire des ordures. Et c'est ce qui différencie Malachi de Heath.